LA HIÉRARCHIE ENTRE CHIENS : pourquoi elle n'existe pas ?

Ceux qui s'intéressent de près au comportement canin savent que la hiérarchie inter-spécifique (entre espèces) n'existe pas, et donc qu'un chien ne peut pas être dominant ou soumis à un humain, chat, tortue, éléphant, fourmi... Si vous voulez plus d'informations à ce sujet, en quelques clics vous pourrez trouver des dizaines et des dizaines de très bons articles d'éducateurs canins, comportementalistes et éthologues.


Mais qu'en est-il de la hiérarchie intra-spécifique, entre chiens ?

Un chien peut-il être dominant ou soumis vis-à-vis de ses congénères ?


Si on se réfère aux observations éthologiques, il faut que plusieurs conditions soient réunies pour qu'il y ait une hiérarchie, parmi lesquelles :

  • un groupe d'au moins 3 individus de la même espèce

  • qu'ils vivent ensemble 24h/24

  • qu'ils aient un but commun pour leur survie (alimentation, reproduction, sécurité...)


En prenant en compte ces 3 conditions, nous pouvons en déduire que :

- Des chiens qui se rencontrent en balade ne peuvent pas créer de hiérarchie (car ils ne vivent pas ensemble et n'ont pas de but commun pour leur survie).

- Deux chiens qui vivent 24h/24 ensemble ne fondent pas de hiérarchie (car il y a moins de 3 individus et ils n'ont pas de but commun pour leur survie).

- Trois chiens (ou plus) qui vivent ensemble ne créent pas non plus de hiérarchie, car ils n'ont pas de but commun pour leur survie (nul besoin de chasser car ils sont nourris par l'humain ; les reproductions sont contrôlées par l'humain ; ils vivent en sécurité et n'ont donc pas de danger à affronter pour survivre...).

Être « dominant » ou « alpha » n'est pas un trait de caractère, c'est un rang dans une hiérarchie de dominance !

Beaucoup de chiens sont qualifiés de "dominant" pour diverses raisons. Par exemple lorsqu'ils font de la protection de ressources (défense de la nourriture, du lieu de couchage, des jouets, etc.) ou lorsqu'ils ont des réactions agressives envers leurs congénères (dues à une mauvaise socialisation, de la crainte, un traumatisme, de mauvaises associations... Il y a toujours une bonne raison !).


Le loup : peut-il être comparé au chien ?

L’organisation sociale du loup a souvent été prise en exemple pour expliquer l’organisation sociale du chien.

Le zoologiste américain David Mech a étudié des loups dans leur milieu naturel pendant plusieurs années. Il a repris et amplifié la théorie de Rudolf Schenkel, selon laquelle le loup vit en meute hiérarchisée.

Cependant, après de multiples observations, David Mech est revenu sur sa position quelques dizaines d’années plus tard (en 1999), en expliquant que le loup vit en système familial : dans chaque groupe de loups, il y a un couple parental accompagné de leurs louveteaux. Lorsque leur progéniture est suffisamment mature, elle quitte ses parents pour fonder sa propre famille ou vivre en solitaire.


Il faut également prendre en compte que de nombreuses observations du loup sont réalisées en captivité : les canidés sont donc obligés de vivre les uns sur les autres alors qu’ils ne sont pas de la même famille et qu’ils n’ont pas choisi de vivre avec ces individus, ce qui n’est absolument pas naturel. Ils n’ont aucune possibilité de fuir le groupe, cela crée rapidement des conflits.

Serait-il raisonnable d’observer des humains emprisonnés pour en tirer des conclusions sur le comportement de l’humain en général ? Non, et pourtant cela revient au même que d’observer des animaux sauvages en captivité pour comprendre ceux qui vivent dans leur milieu naturel...


Pire encore : nous viendrait-il à l’idée d’observer les chimpanzés (qui sont génétiquement très proches de l’homme) pour en tirer des conclusions sur la sociobiologie de l’humain ? Absolument pas. Cela revient à étudier le loup pour comprendre le chien : ces deux espèces – bien que très proches génétiquement - ont évolué différemment.


La structure sociale des chiens féraux, errants

Les études et observations sur les chiens féraux sont très intéressantes pour comprendre l'organisation sociale du chien, étant donné qu’ils vivent en liberté, sans aide volontaire de la part de l’humain.


  1. Alimentation

Les chiens féraux se nourrissent principalement des déchets laissés par l’humain. Lorsqu’ils chassent (ce qui est peu fréquent car les poubelles sont une source de nourriture plus avantageuse), ce sont de petits animaux comme les souris ou les mulots, par conséquent ils n’ont pas besoin de s’entraider.


2. Reproduction

Les chiens féraux se reproduisent à tout va. Il n’y a aucun contrôle des reproductions, les chiens ne s’entraident pas pour élever les chiots. Un mâle peut saillir n’importe quelle femelle en chaleur, et une femelle en chaleur peut se laisser saillir par plusieurs mâles. Il y a parfois des conflits entre mâles pour gagner la femelle qui est une “ressource” précieuse lorsqu’elle est prête à être fécondée.

Dans une hiérarchie de dominance, nous pouvons observer relativement souvent que seuls les dominants se reproduisent. Il n’y a donc pas de conflit.

Avez-vous déjà vu des chiens mâles entiers qui ignorent une femelle en chaleur, pour la laisser à un “mâle alpha” ?


3. Groupe

Les groupes de chiens féraux ne sont pas fixes. Chaque jour, des chiens quittent et rejoignent des groupes : ils sont 3, puis 7, puis 4, puis 8... Ce sont plutôt des rassemblements, selon les opportunités qu’offre l’environnement (nourriture, femelles en chaleur, abris, fraîcheur, chaleur...).

Nous avons vu que pour qu’il y ait une hiérarchie, il faut que les individus vivent ensemble 24h/24. Ils ne s’en vont pas et ne rejoignent pas d’autres groupes sans arrêt.

D’ailleurs, les animaux vivants en système hiérarchique n’acceptent pas que des congénères étrangers s’approchent de leur groupe. Si c’était le cas chez les chiens, nous ne pourrions pas faire de balades canines ou de rencontres entre chiens, ça provoquerait inévitablement des bagarres !


4. Conclusion

Les chiens féraux n’ont pas de but commun, ils n’ont pas besoin les uns des autres pour survivre. Ils se nourrissent seuls, ils se reproduisent tous, ils vont où ils veulent quand ils veulent. Tout cela est incompatible avec une hiérarchie de dominance.


Nous avons vu qu’il n’y a pas de hiérarchie entre chiens. Mais, que penser de la dominance ?

Tout d’abord, faisons la distinction entre ces deux termes :

Hiérarchie : Forme d'organisation sociale privilégiant le rôle de certains individus dans le groupe et leur assurant des avantages matériels (alimentaires, sexuels, territoriaux).

Dominance : interaction contextuelle et situationnelle.


Imaginez que l’on jette UN SEUL délicieux os charnu au milieu d'une dizaine de chiens...

Est-ce que tout le monde s’écarte pour laisser l’os au “grand chef alpha” ? Non ! En réalité, il va probablement y avoir des conflits entre ceux qui désirent l’os.

Évidemment, il y en a qui laisseront tomber plus facilement, ça dépend de leur motivation à ce moment précis :

- Le chien A vient de manger un bon repas qui lui a rempli le ventre.

- Le chien B vient déjà de passer une heure à grignoter un os.

- Le chien C n’a jamais vu d’os de sa vie, il a toujours mangé des croquettes et rien d’autre depuis son plus jeune âge. Il ne sait même pas à quoi sert cet os, il n’a aucun intérêt à se battre pour le gagner.

- Le chien D n'a pas mangé depuis 3 jours, il va sûrement être plus motivé que les précédents. Sa survie en dépend.

Ici, c’est le chien D qui a gagné l’os. Ça ne veut pas dire qu’il est dominant (il n’est pas le chef de ses congénères !). Il a juste dominé cette situation, dans ce contexte, à cet instant précis. Si on refait la même expérience 30mn plus tard avec les mêmes chiens, il y a de fortes chances qu’on n’obtienne pas le même résultat !

Le chien est un opportuniste, il fait ce qui lui apporte le plus... Il va se battre si ça en vaut la peine pour lui. Si non, il laissera tomber.


Si vous vivez avec plusieurs chiens, qu’ils n’ont pas de problèmes de possessivité et que vous leur donnez autant à chacun, vous pouvez remarquer qu’il n’y en a pas un qui s’octroie les privilèges :

- Ils peuvent dormir tour à tour sur le canapé, ou même y être en même temps.

- Ils peuvent ramasser la nourriture qui tombe par terre, à tour de rôle : c’est celui qui est le plus proche qui se jette dessus et mange !

- Ils peuvent se partager les jouets.

- Ils peuvent manger en même temps, chacun dans leur gamelle.

- Ils peuvent passer les portes en 1er ou 2ème sans importance, voire même ensemble si l’espace le permet.


Dans le cas où votre chien grogne lorsqu’un congénère s’approche d’une ressource (gamelle, nourriture, couchage, personne…), ce n’est pas pour être l’alpha. Il peut y avoir diverses raisons, prenons l’exemple d’un chien qui défend uniquement son panier :

- Peut-être qu’il a manqué de confort à un moment de sa vie.

- Peut-être qu’il n’y a qu’un seul panier alors qu’il vit avec deux autres chiens. Il est donc obligé de menacer s’il veut dormir confortablement.

- Peut-être qu’il manque d’activités, qu’il s’ennuie cruellement et que c’est un moyen pour lui d’occuper ses journées.

- Peut-être qu’il ne supporte pas d’être en contact avec un autre chien pour dormir.

- Etc. Il y a plein de raisons possibles selon le passé, les acquis et les motivations du chien.

Selon la cause, il y a pléthore de solutions différentes pour montrer à ce chien qu’il n’a plus besoin de défendre son panier !


Il y a quelques comportements qui sont souvent assimilés à de la dominance/soumission, parmi lesquels :

- Le chevauchement : lorsqu’un chien grimpe sur un autre chien. On observe souvent cette situation lorsque le chien chevaucheur est très excité (=agité), stressé ou frustré. Il ne contrôle plus correctement ses émotions et tente de se calmer en produisant ce comportement.

- Se mettre sur le dos : c’est un comportement volontaire visant à apaiser l’autre lorsqu’il y a trop de tension ou d’excitation. Vous ne verrez pas un chien retourner un de ses congénères sur le dos. En adoptant ce comportement, le chien qui se couche sur le dos communique clairement qu’il ne veut pas de conflit.

- Chien qui fuit, qui a les oreilles en arrière et la queue entre les pattes lors d’une rencontre avec un congénère : c’est généralement un chien peu confiant vis-à-vis de ses congénères. Cela peut être lié à ses expériences passées…

- Chien qui hérisse le poil (pilo-érection) : c’est un comportement involontaire qui apparaît lors d’une forte émotion (stress, surprise, peur, excitation…).

Oublions les étiquettes « dominant » ou « soumis ». Il y a tellement de possibilités d’expliquer (et de solutionner !) les comportements des chiens, bien plus précisément qu’avec ces deux termes fourre-tout ! :)